La suggestion forcée



Son père, après avoir essayé tous les moyens de traitement, désespéré de l'état de son fils, nous l'a confié avec l'autorisation absolue de faire ce que nous croyions nécessaire. Tout d'abord, nous avons insisté près du père pour l'isolement complet du malade et son éloignement absolu de la famille, pour pouvoir entreprendre son traitement. Mais comme nous avons vu que l'isolement tel que nous le comprenions serait très difficile, nous nous sommes décidé à essayer l'hypnotisme.

Le 1er août 1890, nous allons chez M. M..., avec l'intentiond'hypnotiser le malade ; mais celui-ci ne voulait en aucune façon s'y soumettre, avait même recommencé la même scène que nous avons décrite plus haut. On ne pouvait donc songer à employer d'autre moyen d'hypnotisation que celui de Lassègue, usité à la Salpêtrière (légère compression des globes oculaires avec les doigts). Nous disons d'abord aux parents de sortir de la chambre, après quoi nous essayons de commencer l'hypnotisation. Une véritable lutte eut lieu entre le malade et nous. Nous lui avons saisi les deux mains avec l'une des nôtres, ses deux membres inférieurs entre nos jambes et, avec l'autre de nos mains,tenant sa tête immobile, nous pressions en même temps les globes oculaires et tâchions de l'endormir.

Cette séance a duré près de deux heures environ sans discontinuité, temps pendant lequel le malade poussait des cris aigus et très forts :i...i...i..., tandis que nous lui répétions sans cesse l'ordre suivant : « Tu mangeras, tu parleras et tu marcheras. » Durant l'expérience le malade n'a présenté aucune trace d'hypnose, pas même le moindre signe de ce qu'on appelle le petit hypnotisme.
Après de continuels efforts de deux heures, fatigué, nous abandonnâmes le malade et, en partant, nous lui répétâmes pour la dernière fois impérieusement et à haute voix qu'il mangerait, qu'il parlerait et qu'il marcherait et que nous allions revenir...Le lendemain à 9 h. 1/2 du matin nous revenons auprès du malade qui, dès qu'il nous a vu, a recommencé ses cris et ses contorsions habituelles, de sorte que nous avons été obligé de mettre en usage le même procédé que la veille : nous l'avons
saisi et, en le tenant bien, nous lui avons fermé les yeux en comprimant légèrement les globes oculaires et en lui répétant à plusieurs reprises les mêmes injonctions : « Tu mangeras, tu parleras et tu marcheras. » Le malade a montré cette fois aussi la même insoumission que la veille et poussait durant la séance les cris aigus: i...i...i... La durée de cette séance fut d'une heure et demie environ.

Comme nous disions au malade pendant l'expérimentation qu'il dormirait, celui-ci à un certain moment faisait semblant de dormir, pour nous tromper certainement, ayant les membres en résolution et les yeux fermés ; nous disons qu'il faisait semblant et qu'il ne dormait pas réellement, parce qu'il ne présentait alors aucun signe somatique d'un des trois états du grand hypnotisme et parce que, quand, après l'avoir laissé tranquille un moment pour voir, nous avons voulu lui presser de nouveau les yeux, il recommença ses cris : i...i...i...

(et ils sont revenus plusieurs fois à la charge de cette manière...)

Le lendemain, quand nous sommes revenu, nous avons trouvé le malade couché sur le dos, regardant au plafond et ne parlant pas. Nous avons de nouveau posé les doigts sur ses yeux pour répéter l'expérience,mais aussitôt il a recommencé à crier et à articuler pour la première fois quelques mots : « Laissez-moi, je ne veux pas. » Prenant courage de ce commencement de succès, parce que, comme nous l'avons dit plus haut, le malade depuis longtemps déjà n'avait prononcé aucun mot, nous l'avons ressaisi comme les autres fois et, en le tenant en expérience d'hypnotisation forcée pendant une heure et demie, nous lui avons répété sept fois les mêmes injonctions: qu'il faut manger, bien parler, se lever pour marcher et jouer avec les autres enfants.

Le 3 août, le père du malade vient nous trouver et nous dire que celui-ci a parlé et a avoué qu'il avait quelquefois faim, mais qu'il faisait exprès de ne pas manger, en ajoutant que si on lui promettait que le médecin ne viendrait plus, il mangerait...

(et pour conclure leur présentation...)

En dernier lieu, le point de notre cas qui présente un véritable intérêt et que nous voulons surtout mettre en relief, c'est la guérison de ce complexus symptomatique par la suggestion forcée...

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