Sommeil des sens et rapport hypnotique


Le principe que j’ai posé que l’âme dans le sommeil profond agissait directement sur nos organes sans l’intermédiaire du cerveau, mais toujours à l’aide du fluide vital qu’elle dirigeait sur les parties auxquelles elle voulait rendre la sensibilité et l’action, a pour conséquence nécessaire que cette âme peut réveiller telle de nos fonctions cérébrales qu’il lui convient, sans pour cela réveiller les autres et ramener le somnambule à l’état de veille ordinaire.

Si c’est ainsi que l’entendait le docteur Bertrand lorsqu’il disait, comme dans la citation de la note précédente, que beaucoup de somnambules se trouvaient dans un état de demi-réveil, je pourrais me trouver d’accord avec lui ; mais je ne crois pas qu’il en soit ainsi, parce qu’il pensait sans doute que les somnambules en question étaient dans un sommeil incomplet, tandis que je persiste à croire qu’ils sont toujours plongés dans un sommeil profond , et que c’est surtout à cause de cet état qu’ils jouissent de la faculté de rendre la sensibilité à une partie quelconque de leurs organes en laissant tous les autres dans une complète inertie.


Quoi qu’il en soit, la possibilité de réveiller l’ouïe et la vue est évidente, si on l’admet pour les trois autres sens. Je dis dans mon mémoire que je n’ai pas eu l’occasion de vérifier le fait par moi-même ; mais à peine ce mémoire était-il terminé que cette occasion se présenta. En suivant les expériences dont j’ai déjà parlé à l’hôpital de la Salpêtrière, nous eûmes l’idée de faire ouvrir les yeux à une des deux femmes qui en étaient l’objet. La chambre dans laquelle nous opérions était fort élevée, et de sa fenêtre on avait la vue de tout Paris. La somnambule, placée à cette fenêtre les yeux ouverts et fixes, semblait ne rien voir; mais aussitôt qu’on lui désignait un monument ou qu’on portait son attention dans une direction déterminée, elle distinguait et décrivait fort nettement les objets. Quant à ceux qui se trouvaient en dehors de cette direction, elle ne les apercevait nullement. En un mot, elle ne voyait que les objets sur lesquels la volonté qui lui était transmise portait son attention, mais elle les voyait réellement bien par les organes de la vue.

Je fis sur la même femme une expérience plus curieuse et plus complète relativement au fait dont il est ici question. Je lui demandai s’il ne lui serait pas bon de dormir plusieurs jours de suite. Elle me répondit que oui, mais elle me fit l’objection qu’elle ne pourrait vaquer à ses affaires, prendre ses repas, et que cet état de sommeil continu ne serait point compatible avec les habitudes de l’hospice.
Qu’à cela ne tienne, répondis-je, je vous rendrai l’usage des yeux et des oreilles, et vous vous dirigerez comme si vous étiez éveillée.

Ainsi fut-il fait, et au bout de trois jours je revins à l’hospice comme j’en étais convenu, et je retrouvai ma somnambule comme je l’avais laissée. On me dit qu’elle était retournée auprès de ses compagnes, qui d’abord n’avaient pas fait attention à elle, mais qui bientôt avaient été frappées de la singularité de son regard et de sa démarche. Elle se dirigeait droit et avec raideur sur l’objet qu’elle voulait atteindre, sans paraître apercevoir les objets placés à sa droite ou à sa gauche; elle pouvait bien causer avec une camarade, mais sans entendre rien de ce qui se disait autour d’elle en dehors de sa conversation, et son état bizarre excita la malice des autres femmes
qui la plaisantaient et cherchaient à lui jouer quelques mauvais tours heureusement assez innocents. Aussi se plaignit-elle avant d’être
éveillée de la contrariété qu’elle avait éprouvée.

Toutefois, ramenée à son état ordinaire, elle oublia complètement, comme dans ses sommeils précédents, tout ce qui s’était passé en elle.

Posts les plus consultés de ce blog

La theorie de la Néodissociation d' Ernest Hilgard

Les zones hypnogènes

Erickson et le mythe des métaphores