Critique de la double conscience




Cette théorie, me semble-t-il, est un exemple frappant de cette manière trompeuse d'expliquer les phénomènes, qui consiste à introduire un mot nouveau pour interpréter les choses et à considérer ensuite ces choses comme expliquées.

Le fait dont il s'agit revient à ceci : un individu peut visiblement, dans certains états, lier des représentations et accomplir des actes d'après des lois psychologiques, semblables en somme à celles qui régissent la conscience ordinaire ; mais il n'a nulle conscience ou du moins n'a qu'une conscience obscure de ces représentations et de ces actes. Or, au lieu de chercher dans les lois de la conscience même la signification de ces phénomènes, on introduit simplement une seconde conscience à qui on attribue ces faits obscurs ou tout à fait inconscients.

Et c'est avec l'introduction de ce mot que, sans plus, le problème doit se trouver résolu. Que si l'on demande pourquoi l'âme semble n'avoir pas conscience de certains événements psychiques, on vous répond que le propre de la sous-conscience est de nous enlever la conscience de ce qui s'y passe ; et ce serait précisément là la propriété remarquable de notre seconde personnalité d'avoir une conscience inconsciente. Que si l'on demande comment il se peut que les représentations et les actes du rêve et de l'hypnose diffèrent par certaines propriétés caractéristiques de ceux de l'état de veille, on prétend que c'est le résultat des lois particulières de cette conscience inconsciente, qui s'introduit ici dans le phénomène.

Demande-t-on enfin comment on pourrait expliquer ce fait que les représentations de cette sous-conscience imaginaire tantôt nous demeurent inconnues, comme cela arrive, par exemple, dans le sommeil profond ou dans beaucoup de cas d'hypnose profonde sans souvenir, tantôt arrivent à la conscience, comme cela a lieu dans les rêves ordinaires et, soit directement soit indirectement, dans l'état post-hypnotiques, on nous répond : dans le premier cas, la sous-conscience s'est séparé de la conscience supérieure, dans le second cas, au contraire, elle s’est permis quelque relation avec elle.

C’est ainsi que, sans répondre, la théorie répond à tout, parce qu’elle ne consiste qu’à habiller les phénomènes de mots nouveaux. En même temps, la fiction de la sous-conscience partage avec l’hypothèse spécifique de la suggestion que j’ai mentionnée, cette particularité dangereuse de ne pas utiliser les analogies qui existent entre ces faits et les faits connus de la conscience à l’état de veille, de ne pas expliquer le côté obscur des états hypnotiques à l’aide de phénomènes déjà connus par un concept mystique inventé à cet effet. Car il est à peine besoin de dire que cette conception est mystique au même titre que ses congénères occultistes, la seconde vue et la lumière surnaturelle.

Si l’idée d’une « conscience inconsciente » emporte déjà en soi et pour soi l’indice de la « coincidentia oppositorum » qui jouit depuis longtemps de l'estime de la mystique, la représentation d’une « double personnalité », qui se lie conséquemment à cette idée, montre d’une façon indubitable que la théorie descend de l’ancienne croyance aux démons. En vérité, cette seconde personne endormie au fond de notre âme a tous les caractères d’un démon. Ce dernier, en effet, réunit en lui la double particularité de pousser l’homme à des actes qu’il ignore et de lui inspirer des pensées étrangères à son âme propre. La superstition populaire des temps passé expliqua de même par les démons l’épilepsie, les maladies mentales et, à l’occasion, le rêve. La double personnalité de la psychologie moderne de l’hypnotisme n’est donc rien autre, comme on le voit, que le reste atavique des antiques idées de possession.


Posts les plus consultés de ce blog

La theorie de la Néodissociation d' Ernest Hilgard

Les zones hypnogènes

Erickson et le mythe des métaphores